La première personne, c’est l’ancrage immédiat d’une voix : un « je » qui fait entrer le lecteur ou la lectrice dans la serre intime de la narration. Depuis les carnets de Rousseau jusqu’aux romans contemporains comme L’Étranger ou L’Amie prodigieuse, ce choix de point de vue traverse toutes les générations d’auteur·rice·s.
Mais pourquoi la première personne offre-t-elle une telle intensité émotionnelle ?
D’après une enquête menée par The Atlantic en 2017 auprès de 3500 lecteurs anglophones, 68 % déclarent ressentir « plus d’empathie » dans les romans écrits à la première personne, contre 25 % en focalisation externe.
Nous observons trois axes majeurs sur lesquels la première personne influe :
Un rapport de l’université de Californie (2019) souligne que les textes à la première personne entraînent une activité accrue des zones du cerveau liées à l’identification émotionnelle (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, fMRI).
Nous sommes nombreux à être tentés par la première personne au moment d’apprivoiser la narration. Mais chaque fleur a ses exigences…
Lors du dernier comité de lecture des éditions Gallimard Jeunesse (donnée issue du rapport 2022), 54 % des manuscrits reçus étaient rédigés à la première personne, mais moins de 30 % de ces textes ont été sélectionnés après bêta-lecture. Un déséquilibre qui questionne : l’intensité ne remplace pas la construction d’une scène ou d’un arc narratif maîtrisé.
La première personne se cultive, comme une jeune pousse que l’on taille pour révéler sa force. Quelques leviers essentiels à travailler :
Conseil structurant : lors de votre réécriture, isolez chaque scène-clé et demandez-vous : « Ai-je transmis une émotion, ou seulement dit que je la ressentais ? » Réduire les adjectifs et privilégier l’action ou la sensation.
Certains auteurs ont fait fleurir la première personne à un haut degré d’intensité. Quelques exemples, à examiner comme on observe une bouture prometteuse :
Dans tous ces textes, la structure et la coupe sont travaillées avec persévérance : pas de confession sans rythme, pas de plainte sans arc narratif maîtrisé. Les choix de point de vue renforcent l’impact de chaque séquence.
Si la première personne étouffe par moments l’espace du texte, il existe des techniques pour aérer votre narration :
Nous gardons à l’esprit cette maxime d’Alice Munro : « Chaque narrateur imprime sa petite musique, mais ce sont les variations qui font vibrer le récit. » (interview, The Guardian, 2012).
Pour ancrer ces conseils, quelques exercices à tester en bêta-lecture ou atelier d’écriture :
De nombreux ateliers, tels ceux menés à la Maison des Écrivains (2022), montrent que l’intensité n’est pas automatique : elle naît d’un travail rythmique, d’une coupe exigeante et d’un dosage progressif. Les retours de bêta-lecteurs insistent souvent sur la justesse (« trop d’émotion tue l’émotion »).
Rappelons-nous que la première personne n’est pas le privilège d’une seule tradition, ni d’une génération particulière. Elle sert autant la littérature du moi que la polyphonie contemporaine. Son effet sur l’intensité émotionnelle varie au gré des voix – réalistes, lyriques, drôles, fragmentaires.
Cultiver sa voix, expérimenter la structure, accompagner la floraison de scènes qui vibrent : écrire à la première personne, c’est accepter de naviguer entre densité et respiration. Aucun miracle, mais une promesse de travail – et la joie de voir la littérature pousser, toujours à son rythme.
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