Qu’entend-on, très concrètement, par tension dramatique ? Dans la tradition éditoriale, la tension est ce courant qui relie deux rives : « ce que le personnage veut, ce qu’il craint » (John Truby, Anatomie du scénario). La tension dramatique naît du manque et de l’incertitude.
Dans L’Étranger, Camus installe d’emblée cette question latente : pourquoi Meursault ne réagit-il pas « comme il faut » ? Tout le roman se tend autour de ce fossé entre attente sociale et désir individuel. La tension, ici, n’est ni poursuites ni rebondissements effrénés : c’est le malaise, le silence, qui font tenir l’intrigue debout.
Ce trio crée l’attente. Sans lui, le récit se fige – ou s’évapore.
La tension n’est pas uniforme. Elle se glisse dans la structure, le style, le montage des scènes. D’après l’étude StoryGrid (StoryGrid), 87 % des romans publiés chez des éditeurs anglo-saxons affichent au moins deux niveaux de tension : interne (psychologique) et externe (liée aux faits ou à l’action).
Dans La Carte et le Territoire de Houellebecq, l’auteur module tension personnelle, doute existentiel et satire sociale – trois rythmes entremêlés qui empêchent la monotonie.
« Croître, c’est résister aux raccourcis », écrivait Marguerite Yourcenar (Archives du Nord). Or, la fabrication d’une dramaturgie solide relève de la patience : il ne s’agit pas de distribuer coups de théâtre sur coups de théâtre, mais de bâtir la croissance d’une attente.
En bêta-lecture, les comités de lecture relèvent souvent une faiblesse : « On sait d’avance ce qui va se passer après 60 pages ». C’est un symptôme d’un récit linéaire, sans tension souterraine.
La tension s’inscrit dans la cadence des phrases comme dans l’agencement des scènes. Un récit trop monocorde assoupit la vigilance du lecteur·rice. La tension se cultive dans les contrastes.
La scène germinative ? Celle où le lecteur·rice sent que « quelque chose va basculer », sans pouvoir deviner quand ou comment.
Un manuscrit prometteur ne repose pas seulement sur l’accumulation de petits effets. Il impose une courbe, une architecture – parfois nerveuse, parfois tout en soubresauts. Différentes stratégies peuvent soutenir cette tension sur la longueur :
Selon le rapport annuel de l’Arald (Agence Rhône-Alpes pour le livre), 74 % des manuscrits sélectionnés en comité de lecture présentent une structure « maîtrisée et évolutive » : tension, mais aussi espace de respiration.
La tension ne se déploie pas seulement à l’échelle d’un chapitre ou d’une intrigue. Elle s’infiltre dans le choix du détail sensoriel, dans un dialogue coupé au bon moment, dans une coupe qui laisse imaginer la suite.
En atelier d’écriture, une scène statique prend vie non par son action, mais par le choix de ce que l’on décide de montrer… ou d’omettre.
Revenir sur son manuscrit, c’est mesurer le flux de tension : où s’essouffle-t-il ? Où se tend-il inutilement, au risque d’épuiser la lecture ? Quelques outils concrets :
L’expérience éditoriale indique que les manuscrits où chaque scène interroge l’attente du lecteur·rice résistent beaucoup mieux à la coupe, et traversent plus volontiers les lignes du comité de lecture (Actualitté).
Il n’existe pas d’unique modèle de tension dramatique. Dans la littérature contemporaine, de plus en plus d’autrices et auteurs issus de voix minoritaires esquissent des tensions inédites : la quête d’une langue juste, une identité en transmission, une mémoire à faire émerger.
On peut citer l’exemple de Leïla Slimani (Chanson douce) ou de Scholastique Mukasonga (Notre-Dame du Nil) : tension née d’un point de vue singulier, d’une voix longtemps privée de scène. Selon une enquête du CNL 2023, 42 % des lecteurs et lectrices affirment chercher des récits « dont la tension soit nourrie par l’expérience intime, plus que par l’action spectaculaire ».
Cultiver sa tension, oui, mais l’inventer : chaque graine trouve sa manière propre de se tendre vers la lumière.
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