30/10/2025

Orchestrer voix et scènes : bâtir une structure qui tient debout

Comprendre structure et point de vue : parlons de ce qu’on fabrique vraiment

Quand on évoque la structure d’un manuscrit, on pense souvent « plan » ou « découpe ». Or, la structure, c’est ce qui retient ; c’est le jardinage du sens et de la progression. Elle guide la croissance de la voix tout autant que de l’intrigue. Derrière chaque structure solide, il y a une harmonisation entre perspectives (qui raconte ?) et scènes (quelles images, quelles tensions ?).

Le point de vue détermine l’angle par lequel le lecteur reçoit l’histoire. C’est la fenêtre, jamais neutre, par laquelle le monde fictionnel devient lisible. Selon l’étude du National Novel Writing Month (NaNoWriMo), près de 64 % des manuscrits soumis en comité de lecture utilisent la 1re personne ou une alternance focalisée. Signe que la question du « qui parle ? » n’est jamais anodine dans la réception d’un texte (NaNoWriMo).

La scène, quant à elle, est l’unité de tension et d’incarnation : elle donne à voir, à entendre, à ressentir. Marguerite Duras disait à propos de la scène : « Ce n’est pas l’action, c’est ce qui survit de l’action dans la mémoire de celui qui écrit. » (L’Écriture, la vie)

Articuler les points de vue : du choix à la constance

Varier les perspectives enrichit la voix du récit, mais peut aussi perdre le lecteur si la structure manque d’assise. Les comités de lecture sont particulièrement attentifs à la gestion du point de vue, qui doit permettre cohérence et identification. Quelques clés pour dompter ce levier :

  • Identifier la fonction de chaque point de vue : chaque regard offre un savoir, une émotion ou une tension propre. Veillez à ce que chaque voix serve la progression dramatique.
  • Maintenir la lisibilité : changez de point de vue à la fin d’un chapitre ou sur une rupture visuelle (astérisme, saut de page), pas à chaque paragraphe.
  • Limiter la dispersion : Andrew Kaufman, éditeur de The New Yorker, estime qu’un roman « multivoix » maîtrisé n’excède pas 3 à 4 focalisations principales, sauf construction chorale affirmée (The New Yorker).

Dans Des femmes puissantes, Mary Beth Keane alterne trois voix en leur accordant des chapitres entiers. Le lecteur prend racine, ne décroche pas (son roman a atteint la sélection du National Book Award 2023, source : Nationalbook.org).

Composer des scènes qui s’imbriquent au lieu de s’additionner

Préparer une succession de scènes sans logique interne, c’est cultiver un jardin au hasard du vent. À l’inverse, chaque scène bien amenée pousse la suivante et prépare la récolte finale.

  • Définir le « rôle » de la scène (avancée narrative, révélation, respiration...)
  • Penser la tension : abrégez ou étoffez selon l’effet voulu. Le chapitre devenu viral de Sukkwan Island (D. Vann) ne dure que 8 pages mais imprime une bascule pour tout le récit (France Culture).
  • Relier les scènes par des motifs, des gestes ou des objets : la cohérence se fabrique par ricochets. Relisez Louise Erdrich ou Laurent Mauvignier.

D’après l’atelier « Techniques de structuration » (La Marelle, 2022), la coupe de 15 % d’un manuscrit en phase de réécriture concerne en priorité les scènes « qui ne portent pas la plante », c’est-à-dire qui ne contribuent pas à l’enracinement du récit.

La structure : trouver le bon tronc pour ses branches

La structure générale d’un texte est comparable à la ramure d’un arbre : certaines branches (scènes) doivent être taillées, d’autres étoffées, mais toutes doivent converger vers le tronc central (l’enjeu du récit).

  • Le plan chronologique : rassurant pour un premier manuscrit, mais exige de « planter » des racines en début, des poussées en milieu, un fruit en conclusion.
  • Le montage alterné (va-et-vient entre deux voix ou deux temporalités) : suscite l’attente, mais requiert rigueur et marquage clair pour éviter la confusion (voir Les intérêts d’Alice de J. Harwood, pour sa maîtrise du montage alterné).
  • La structure en triptyque ou en boucle (retour à une scène initiale, visions circulaires) : permet d’éclairer autrement le propos, mais impose une discipline sur les indices distillés (Le roman moderne consacre en moyenne 20 % de son volume à la réexposition, selon le portail Publishers Weekly).

Quels outils pratiques pour articuler scène et point de vue ?

L’outil n’est rien sans le geste, mais il aide à clarifier le regard. Voici quatre approches éprouvées dans les ateliers d’écriture, en comité de lecture comme en phase de réécriture :

  1. Le synopsis détaillé par scènes et voix : dressez une table, colonne 1 « scène », colonne 2 « qui raconte », colonne 3 « tension ou objectif » : vous visualisez de suite les déséquilibres.
  2. La cartographie narrative : schématisez branche par branche l’ordre des scènes et la circulation des points de vue (exemple d’organigramme sur le site de la Société des Gens de Lettres).
  3. Le carnet de bêta-lecture : faites tester votre succession de voix/scènes à au moins deux lecteurs extérieurs, invitez-les à pointer fatigue, attentes, confusions (source : Actualitté).
  4. La réécriture par coupe : partez d’une version « brute », puis retirez tout ce qui ne contribue ni à la tension ni à l’éclairage du propos. La coupe est un geste fondateur, et non une perte.

Quelles erreurs fréquentes ? Où le jeune auteur trébuche-t-il le plus souvent ?

Les premiers manuscrits que je lis rencontrent souvent ces écueils :

  • Changement de point de vue incontrôlé : « tête flottante » ou glissements involontaires (head-hopping, cf. Writer’s Digest).
  • Scènes déséquilibrées : certaines scènes étirées pour elles-mêmes, sans incidence réelle sur la trame (posture de l’auteur face à son texte, analyse menée par Edistat).
  • Répétition sans variation : trois dialogues identiques sur le même motif ; la graine n’avance pas, le lecteur s’impatiente.
  • Absence de respiration : accumulation de scènes « choc » sans moments pour « poser le terreau » d’une émotion ou d’une réflexion (voir la relecture du Chant du Rossignol de Kristin Hannah dans Kirkus).

Savourer le temps de la structure, pour laisser sa voix éclore

Il n’y a pas d’équation magique : tout manuscrit trouve, par essais, découpes et fusions, la structure qui lui correspond. L’enjeu, c’est de ne pas confondre spontanéité et désordre. Structurer, c’est donner à votre voix de l’espace pour grandir, s’affiner, trouver ses appuis.

« Chaque phrase, chaque scène, c’est une graine dans le champ du livre », écrivait Annie Ernaux (Journal du dehors). L’articulation des points de vue et des scènes n’est pas simplement une technique — c’est un engagement : celui de donner à lire un texte qui vibre, qui respire, qui donne envie d’y revenir.

Nourrissez, taillez, transposez. Ici, la patience n’est pas une qualité mineure : elle permet à l’écriture de pousser à son rythme, fort, singulier, prêt à trouver écho sur une scène plus large – celle, toujours exigeante, des lecteur·rice·s attentifs.

En savoir plus à ce sujet :


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