Qu’est-ce qui distingue un manuscrit prometteur d’un texte qui vacille ? À travers les lectures de comité, une affirmation revient : les histoires qui nous emportent reposent sur une charpente invisible, mais ferme. Sans structure, la voix s’embrouille, la scène se dérobe. Or, construire cette structure n’est ni cadenasser l’inspiration, ni imposer une “recette” – c’est offrir à son récit la possibilité de s’élever en gardant toute sa singularité.
Comme le rappelle l’éditeur Antoine Gallimard, « un roman, c’est une architecture avant d’être de la prose » (Le Monde des Livres, avril 2021). Loin d’être un frein, la structure libère l’imaginaire – elle canalise la narration.
Entrons dans la serre. La structure la plus classique, celle qu’on trouve dans la majorité des récits publiés (qu’ils soient romans, scénarios ou nouvelles), reste celle du fameux schéma en trois actes.
Les variantes abondent. Certains récits jouent sur quatre mouvements (la fameuse “structure en quatre actes” du théâtre classique), d’autres sur des cycles ou des fragments (voir le “roman mosaïque” chez Clare Louise Bennett, Pond, 2016). Ce qui importe ? Que chaque scène soit tendue vers un enjeu clair.
À retenir : la structure n’est pas une cage, elle dessine une piste de germination. L’histoire peut bifurquer, mais elle ne doit jamais se diluer.
Tout récit s’épanouit dans l’énergie de la tension dramatique. Que veut le personnage ? Qu’est-ce qui l’empêche d’obtenir ce qu’il ou elle désire ? À chaque obstacle vient s’ajouter une poussée scénaristique qui doit, idéalement, troubler le confort du lecteur.
Un chiffre pour mesurer l’importance du rythme : selon une étude menée par l’éditeur américain Penguin Random House (2022), près de 68 % des lecteurs abandonnent un roman s’ils n’identifient pas l’enjeu principal au bout du premier tiers (source).
Chaque scène doit fonctionner comme une pousse robuste : elle avance l’intrigue ou approfondit le personnage. Rien de gratuit. D’où l’analyse, lors de la réécriture, de la « colonne vertébrale » de chaque passage : est-ce que cette scène modifie un point de vue, suscite un doute, fait progresser le manque ? On peut s’inspirer ici de l’exercice du « storyboard » utilisé en audiovisuel : placer chaque scène sur une frise et vérifier, d’un coup d’œil, sa nécessité dans la structure globale.
Pour citer Lorrie Moore : « La scène la plus forte pousse le récit ; la plus belle ne suffit pas. » (Birds of America).
Nous accompagnons sur Graines d’Auteurs des textes très variés – du récit d’enfance au roman scientifique. Ce qui fait la réussite d’une structure, ce n’est pas sa conformité à un moule, mais son adéquation à la voix portée. Une autobiographie éclatée peut alterner les époques sans perdre en cohérence si chaque fragment répond à une tension, une attente, une promesse narrative. La floraison trouve son propre rythme.
Quelques exemples :
L’originalité émerge de la précision : dès lors que l’enjeu et la progression sont nets, même les formes les plus fragmentaires poussent droit.
Travailler la structure, ce n’est pas tout faire seul·e. La bêta-lecture, le synopsis, la carte mentale, ou même les post-it sur un mur, sont des outils puissants pour clarifier ce qui pousse et ce qui tarde à germer. L’écoute d’une autre voix, la confrontation à un autre regard, fait ressortir parfois la faille invisible.
Selon le Syndicat national de l’édition, 35 % des premiers romans transmis aux maisons d’édition se voient refuser pour « absence de structure claire ou incohérence des arcs narratifs » (Rapport du SNE – mai 2023). C’est dire l’importance de l’ossature dans le processus de sélection.
Toutes les voix n’ont pas vocation à suivre un sentier balisé. La littérature contemporaine regorge de romans-labyrinthes, de récits éclatés ou choraux. Oser, oui. Mais l’expérimentation n’efface pas la nécessité de la tension narrative ; là où tout se dissout, le lecteur se perd.
« Écrire, c’est faire tenir ensemble ce qui, au fond, ne tenait pas », dit Marie Darrieussecq (Entretien France Culture, 2022).
Aucune structure n’est figée. Elle évolue au rythme des ratures, de la réécriture, des échos que suscite la lecture d’autrui. Notre conseil pour cultiver la solidité d’un manuscrit : revenir à son plan, scène après scène, pour vérifier que chaque étape porte l’élan d’ensemble, que la voix ne s’y dissipe pas.
À mesure que votre texte grandit, la structure devient une alliée : elle accompagne sans contraindre, soutient sans forcer. Le travail de fond consiste à questionner: l’enjeu est-il toujours lisible ? La cadence, organique ? Le point de vue, maîtrisé ? C’est là, dans ce ajustement constant entre liberté et charpente, que les histoires, un jour, prennent racine durablement.
Envie d’aller plus loin ? Sur Graines d’Auteurs, vous trouverez des fiches-outils détaillées pour cartographier son récit, des cas pratiques de structure analysée, et un réseau attentif pour partager vos questions. Parce qu’à chaque voix neuve, une pousse inédite peut surgir – et grandir, si elle prend appui sur une structure juste.
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