La tension narrative, c’est la question féconde plantée dans l’esprit du lecteur : que va-t-il se passer ? Elle n’est pas seulement affaire d’action ou de suspense – elle réside dans la curiosité, l’attente, la surprise, le conflit larvé entre personnage et désir. Selon Marguerite Duras : « On écrit pour combler une absence », et cette absence, c’est la tension elle-même.
Créer une tension durable demande une observation fine de la structure, des rythmes et des silences dans la narration. Les essais de John Yorke (Into the Woods, 2013) et la rigueur des comités de lecture d’éditeurs généralistes montrent : la maîtrise de cette tension détermine l’endurance du manuscrit, son accueil, sa voix propre.
Un manuscrit prometteur ne possède pas nécessairement tous ces piliers au même degré ; mais l’absence complète de deux d’entre eux affaiblit d’emblée la tension. Prenons pour exemple Six Fourmis blanches de Sandrine Collette : l’intrigue avance parce que le lecteur sent à chaque page que la montagne (l’obstacle) se referme sur le groupe, tandis que l’espoir (le désir) persiste.
Il ne suffit pas de planter une énigme au départ. Ce qui distingue les textes polissés par la réécriture, c’est leur capacité à renouveler la tension, à chaque étape de la structure. Les études de l’éditeur britannique Penguin Random House montrent que la « courbe de tension » compte parmi les premiers critères de sélection en comité de lecture (source : Penguin, 2022). Voici comment composer cette courbe :
La tension durable prend racine dans le détail : chaque scène doit porter un enjeu explicite ou caché. Selon le dramaturge David Mamet : « Dans chaque scène, quelqu’un doit vouloir quelque chose ». Interrogez vos passages :
Lors de bêtas-lectures, un écueil récurrent : les scènes d’exposition qui n’intègrent aucun conflit, aucune question ouverte. Or, la maîtrise de la coupe, au service de la tension, est l’une des demandes les plus fréquentes des directeurs littéraires (source : L’Édition du soir, Ouest-France, 2023).
Le langage du jardinier est ici d’une grande justesse : faut-il arroser en pluie fine, ou tailler pour donner de la vigueur ? Trop de scènes tendues éteignent le lecteur ; trop peu dissipent l’énergie.
Selon l’étude Reading Pulse menée en 2020 (BookNet Canada), c’est dans les romans aux chapitres de 1 à 5 pages que la tension est perçue comme la plus prenante pour 72 % des lecteurs interrogés. À méditer pour la fabrication de votre ligne narrative.
La tension se nourrit aussi de ce que l’on choisit de cacher au lecteur. L’art de la focalisation (interne, externe, omnisciente) ouvre une infinité de stratégies pour entretenir la curiosité :
Dans La Route, Cormac McCarthy étire le doute et la peur grâce au silence de ses personnages : « Quand on a peur, on ne fait pas de bruit », dit-il. Cette maîtrise permet de tenir la promesse d’un suspense qui ne s’épuise pas.
Les travaux de Lisa Cron (Story Genius, 2016) insistent : la tension narrative s’accroît d’autant que le lecteur partage les émotions, les vulnérabilités du personnage. Sans empathie, l’attente s’effiloche.
La recherche publiée par le Centre National du Livre en 2023 note que les romans où la tension découle d’un attachement émotionnel voient leur taux de recommandation grimper de 40 %.
En comité de lecture, la première cause de refus d’un roman réside dans l’essoufflement du rythme et de la tension passée la page 60 (statistique : Sélection Lecteur, Actes Sud, 2022). Relire son manuscrit en notant, pour chaque chapitre, la nature et la force du principal enjeu permet de repérer les passages faibles :
Envers et contre les recettes répétitives, la tension la plus durable reste celle qu’on n’a pas encore lue : une voix singulière plante une graine neuve dans le paysage littéraire. Osez l’inattendu : un choix éthique qui clive, un angle qui renouvelle un genre, une cadence narrative qui prend racine dans votre langue propre.
La bibliodiversité, défendue par L’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants, rappelle la nécessité d’accueillir ces nouvelles floraisons. Les lectorats, plus que jamais, réclament des livres « justes », c’est-à-dire : intenses, honnêtes et cohérents avec la voix qui les porte.
En cultivant la tension narrative comme un jardinier veille sur la croissance fragile d’une graine, nous donnons à nos textes la chance de durer – de traverser le temps d’un manuscrit jusqu’à la lecture de l’éditeur, puis du lecteur. La tension narrative n’est pas la promesse d’un suspense sans fin : c’est une partition vivante, rythmée par les désirs, les peurs, les voix singulières. Donner de la force à ce fil, c’est œuvrer à la vitalité de la littérature émergente. Si l’on prend soin des questions qui dérangent, des silences qui tordent la phrase, alors peut-être, la page suivante prendra racine dans la mémoire de celui ou celle qui la lit.
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