Dans la fabrique d’un récit, le point de vue détermine ce que le lecteur voit, comprend, ressent. Il ne s’agit pas seulement de choisir entre « je » ou « il », mais de décider, phrase après phrase, de la distance entre l’histoire et son public.
Chaque option fait éclore une forme spécifique d’intimité, de mystère, d’ironie ou de tension. C’est la graine autour de laquelle s’enroule la croissance du texte.
Pourquoi certains récits semblent-ils « incarner » une voix, tandis que d’autres paraissent désincarnés ou flottants ? Le choix du point de vue impose un cadrage unique à l’histoire – il illustre la manière dont nous, lecteur·rice·s, allons cheminer dans le jardin du roman.
Sentez-vous la différence, par exemple, entre la terre noire retournée à pleines mains (narration interne) et le jardin aperçu à travers une fenêtre fermée (narration externe) ? La perception du lecteur naît de ce choix, et tout s’ordonne autour de lui.
Gardons la tête froide : la confusion est fréquente entre « point de vue » (qui raconte) et « focalisation » (ce que le narrateur sait). Le linguiste Gérard Genette distingue trois formes de focalisation principales (Figures III, 1972, Seuil), utiles pour structurer votre propre texte :
Cette classification n’est pas qu’académique. Dans la pratique, choisir l’une ou l’autre revient à planter différentes variétés d’arbres dans votre serre littéraire : ombre, lumière, densité de la canopée – chaque combinaison ouvre un monde spécifique d’effets sur le lecteur.
Chaque choix de point de vue entraîne une chaîne de conséquences sur la perception, jusque dans la fabrication même du manuscrit. Voici quelques effets notables :
Comment choisir, puis structurer un point de vue adapté à l’intention du texte et à la singularité de votre voix ? Voici une démarche concrète, applicable dès l’étape du synopsis ou de la réécriture :
Du carnet à la ligne claire d’un livre imprimé, la structure du point de vue influence toutes les étapes de fabrication :
Il existe une tentation naturelle de multiplier les expériences : alternance des focalisations, polyphonie, flou volontaire. Expérimenter, oui – tant que la lisibilité et la clarté de la voix en sortent grandies. Même Faulkner ou Virginie Despentes, qui manipulent la polyphonie, contrôlent farouchement l’ancrage des voix et la transmission de l’information (voir entretien de V. Despentes, France Inter, 2019).
La maîtrise du point de vue s’affine au fil de la lecture, de l’écriture et de la bêta-lecture exigeante. Pour cultiver ce terrain, voici quelques ressources :
Le point de vue n’est jamais figé. À chaque manuscrit, il s’agit d’une redécouverte, parfois d’une lutte, toujours d’une maturation. Ce qui importe : suivre l’exigence de clarté, innover sans perdre de vue la structure de la perception et la lisibilité de la scène. Prenez le temps d’essayer, de réécrire, de confier votre texte à une communauté attentive. C’est là, dans cet échange et ces multiples regards, que votre point de vue viendra, peu à peu, faire éclore la pleine voix de votre récit.
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